Le militant
Mon grand-père avait contribué à développer la verrerie coopérative de Mataro en Catalogne. La coopérative comprenait une école pour les enfants des ouvriers et tous les salaires étaient égaux. En Espagne, presque tous les membres de ma famille paternelle travaillaient comme verriers et étaient membres de la CNT, le syndicat anarchiste.
Mon grand-père Joan Peiro avait été nommé par le syndicat pour occuper les fonctions de ministre de l’industrie puis de commissaire à l’électricité dans les gouvernements d’urgence de Largo Caballero et Negrin.
Mon père s’est battu sur le front de l’Aragon et ensuite, il est devenu le chauffeur de son père.
Ma famille est arrivée en France au moment de la « Retirada », après la défaite des Républicains contre Franco pendant la guerre civile. A Perpignan, mon grand-père a été aidé par les autorités françaises et par des entreprises de verrerie qu’il connaissait dans la région.
Deux de mes oncles avaient été internés à Argelès. Les autorités françaises ont accepté de laisser mes oncles « s’évader ». Les policiers les ont fait transférer devant le poste de police de Perpignan et là ils ont ostensiblement tourné le dos. Mes oncles ne comprenaient rien à ce qui se passait et attendaient là jusqu’à ce qu’ils voient mon grand-père qui leur faisait des signes désespérés de l’autre côté de la rue.
Les femmes avaient été internées à Roscanvel en Bretagne, mais toute la famille a fini par se regrouper à Narbonne.
Mon grand-père est monté à Paris pour s’occuper d’une association d’aide aux réfugiés espagnols, la Jare. Quand la France a été envahie en 1940, il n’a pas voulu abandonner l’association. Quand il a fini par se résoudre à passer la LTrèves
Aragon
igne de démarcation, il a tenu à emporter tous les documents compromettants.
Le passeur devait transférer ses valises en zone libre dans un premier temps, ce qui était très dangereux. D’habitude il avait les clés des bagages et les gendarmes ne prenaient pas la peine de vérifier le contenu. Malheureusement, mon grand-père a oublié de lui donner les clés. Les gendarmes ont fouillé les valises et saisi les documents. Le passeur a été arrêté et livré aux Allemands.
Mon grand-père s’est rendu pour éviter que l’homme ne soit fusillé et il a fini par se retrouver en prison à Trèves en Allemagne.
Au bout d’un an, les autorités franquistes ont négocié l’extradition de mon grand-père qui a été brutalement interrogé par la police à Madrid avant d’être transféré à Valence. Il a été jugé de façon expéditive malgré les efforts d’un officier qui avait été commis d’office pour le défendre. De nombreuses personnalités, même proches du régime, ont essayé d’intervenir pour lui épargner la mort (mon grand-père avait lui-même sauvé de nombreuses vies pendant la guerre civile à Mataro), mais les dés étaient pipés et alors que l’avocat avait obtenu de surseoir à l’exécution, mon grand-père a été fusillé. Des amis ont pu récupérer son corps avant qu’il ne soit jeté à la fosse commune.