Blondes fatales
En 1940, pendant que mon grand-père tentait d’échapper à l’offensive allemande, ma grand-mère partit sur les routes de l’exode avec sa petite fille de cinq ans et des jumelles nouveau-nées (ma mère et ma tante). Le docteur lui avait caché qu’elle attendait deux enfants pour ne pas l’inquiéter et c’est en accouchant qu’elle a eu la surprise.
Son mari ignorait donc tout de la situation et il fallut le prévenir par télégramme. Le voisin qui avait le souci de faire économiser des mots, donc de l’argent sur le message envoya simplement « filles en bonne santé » et mon grand-père se posa longtemps la question de savoir s’il s’agissait d’une faute d’orthographe ou s’il était père d’un nombre inconnu de filles.
Au bout de leur fuite, elles arrivèrent à Bernay en Normandie presqu’en même temps que la garnison allemande.
Il était très difficile de se procurer du lait pour bébés car tout manquait. Il se trouvait que la fillette de cinq ans et les jumelles était de ravissantes blondes aux yeux bleus. Très rapidement, les Allemands en proie au mal du pays les adoptèrent et elles devinrent les mascottes du régiment, ce qui fut, pour ma grand-mère la source de beaucoup d’embarras.
La situation se compliqua davantage quand l’officier responsable tomba amoureux d’elle.
Devant ses refus répétés, il essaya de la convaincre en lui disant qu’après la guerre, peut-être, si son mari ne revenait pas, elle accepterait qu’il revienne s’occuper d’elle et il prit note de son adresse à Colombes.
De fait, après-guerre, le quartier vit arriver une Mercédès qui se gara devant le domicile de ma grand-mère et le galant officier frappa à leur porte pour constater avec regret que la famille était pleinement reconstituée.