Jeanne et les rebelles
L’histoire que nous adorons raconter en famille est celle de la rencontre de mes grands-parents.
Henri était un jeune cheminot du PLM (le Paris-Lyon-Marseille d’avant la SNCF) et un militant socialiste venu de Lons le Saunier dans le Jura. Pendant la première guerre mondiale, il était devenu soldat et se battait sur le front de la Marne.
Lors d’une permission, il rencontra Jeanne dans les rues de Provins et ils tombèrent amoureux.
De retour au combat, il fit partie des fortes têtes qui refusèrent de monter à l’assaut. Considéré comme mutin, il fut condamné au peloton d’exécution.
Jeanne alla “pleurer dans les guêtres” de son frère Antonin, un jeune et brillant officier, afin qu’il intervienne. Antonin, qui était le camarade de promotion d’un certain Charles de Gaulle à Saint-Cyr, ne connaissait pas encore Henri, mais il finit par céder aux supplications de sa sœur.
Antonin se rendit à l’état-major et réussit à subtiliser le dossier d’Henri qui réchappa ainsi à l’exécution après d’âpres négociations.
En 1919, Jeanne et Henri se marièrent et mon père naquit deux ans plus tard.
Pendant la deuxième guerre mondiale, mon grand-père était maquisard communiste FTP alors que mon père était maquisard gaulliste FFI.
Antonin lui vira à l’extrême droite et rejoignit les Croix de Feu. Il se retrouva à cheval sabre au clair devant l’Assemblée nationale en février 1934. Sa carrière avait pourtant été brillante et il avait même négocié avec Lawrence d’Arabie et le fondateur de l’Arabie Saoudite, Ibn Saoud, lors du partage du Moyen-Orient après la première guerre mondiale. Son activité politique mit visiblement un frein à sa promotion et ne lui permit pas d’avoir ses étoiles de général, il fut quand même promu colonel et chevalier de la légion d’honneur et chevalier de l’ordre du cèdre par les autorités libanaises.
Quand j’avais une dizaine d’années, les discussions entre les deux vieux beaux-frères étaient homériques, mais ce qui était excitant pour nous les enfants, c’était de porter son képi à cinq barrettes et de jouer dans une tente jaune qu’il avait rapportée de ses voyages. Pour nous, c’était la tente de Lawrence d’Arabie.