Les déracinés
Parce qu’ils étaient des harkis, mes deux grands-pères et leurs familles ont dû fuir l’Algérie au moment de l’indépendance.
C’étaient de pauvres villageois, analphabètes qui habitaient près de Tlemcen. Sans leur demander leur avis, l’armée française les a enrôlés l’un comme chauffeur, l’autre comme auxiliaire. Ce dernier était même encore réserviste en 1974. Ils ont fini par être décorés tous les deux et très fiers de l’être, sans jamais regretter leur choix. Ils voulaient que leurs enfants aient un avenir.
Nous, la jeune génération, nous avons voulu savoir pourquoi ils s’étaient engagés du côté des colonisateurs, des « occupants ». Ils nous ont répondu que tout n’était pas si simple et que les torts ou les bonnes volontés pouvaient être partagés.
Pour mon grand-père paternel et les siens, ce n’est pas vraiment l’État français qui les a rapatriés mais plutôt son supérieur, le capitaine Delmotte qui a pris sur lui de sauver près de cinquante familles de harkis. Il a embarqué tout ce monde-là sur un bateau et est même allé jusqu’à les héberger dans son manoir de Chauvigny près de Poitiers.
Mon autre grand-père et sa famille, dont ma mère qui était toute petite à l’époque, sont passés par Bourg-Lastic, un camp de transit dans le centre de la France avant de retrouver les autres à Châtellerault. Il y avait énormément de rapatriés dans la région.
Ils sont régulièrement retournés en Algérie retrouver leur terre natale et leurs proches avec qui nous sommes toujours en contact.
Leur mémoire m’est très chère.