Devine qui vient dîner

Mon grand-père Emile est né en Tunisie en 1933 qui était à l’époque un protectorat français.

Pendant la seconde guerre mondiale, quelques mois avant la fin de la guerre les Allemands ont débarqué à Tunis. Ils avaient des relations correctes avec tous les habitants, quel que soit leur nationalité ou leur religion.
Un jour l’oncle de mon grand-père rencontra un officier allemand, discuta avec lui et l’invita à dîner à la maison dans l’espoir d’obtenir un emploi. Toute la maisonnée était en effervescence pour préparer de délicieux mets locaux. Les femmes mirent leurs plus belles robes et bijoux. Toute la famille était réunie, oncle, tante, cousins, cousines pour recevoir l’officier. Lorsqu’il franchit le seuil de la porte mon arrière-grand-mère, la mère de mon grand-père, se décomposa en apercevant l’insigne SS sur le col de l’officier.

Après l’avoir accueilli, elle entraîna son frère dans la cuisine en lui reprochant cette invitation et du risque qu’il faisait courir à tout le monde du fait que notre famille était juive. Le repas se déroula normalement, les enfants n’avaient pas conscience du danger mais les adultes tremblaient intérieurement. L’un des participants au dîner, demanda à l’officier ce qu’il pensait des Français, puis des Italiens et enfin des juifs et celui-ci répondit « tous égal ».  Tout à coup, il s’émerveilla devant le collier en or, très travaillé et typique de l’artisanat tunisien, porté par l’une des femmes de l’assemblée. C’est alors que ma grand-mère l’arracha de son cou et l’offrît avec insistance à l’officier, en souvenir de leur rencontre. Celui-ci l’accepta. Le dîner se termina et l’officier repartit en remerciant chacun de ses hôtes de leur accueil.
Les jours et les semaines qui suivirent furent très anxiogènes pour les adultes de la famille qui sursautaient à chaque fois que quelqu’un toquait à la porte. Ils étaient effrayés à l’idée d’être dénoncés et que les hommes soient envoyés aux travaux forcés.
Finalement, ils ne revirent jamais l’officier et n’entendirent plus jamais parler de lui.
Mon grand-père était enfant et n’a jamais souffert de cet épisode. Il nous a souvent raconté cette histoire, toujours sur le ton de la plaisanterie, en se moquant avec tendresse de l’angoisse qu’avaient ressentie sa mère et sa famille, comme s’il gardait l’insouciance de son enfance pendant son récit.

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