Comment parler aux hommes
Ma grand-mère était neuropsychiatre. C’était une femme très raffinée et maligne qui avait étudié de nombreuses années. Elle était également une grande lectrice et une admiratrice cultivée des Beaux-Arts. Et pourtant, elle n’était pas une intellectuelle. Elle pouvait lire, aller au cinéma ou encore passer des après-midis dans des musées pour le pur et simple plaisir que cela lui procurait. En d’autres termes, la culture était pour elle un merveilleux plaisir et non un moyen de briller en société.
Un jour, elle assista à un symposium sur la psychiatrie. De même qu’il y avait peu de femmes dans sa profession, les intervenants étaient principalement des hommes. Ils étaient tous intellectuels, poseurs et vaniteux. Ils parlaient fort et citaient d’anciennes références dans le seul but de vanter leurs connaissances. Ma grand-mère ne pouvait pas dire un mot sans qu’on lui coupe la parole. Elle continuait d’essayer. En vain. Elle devenait particulièrement irritée. Soudain, sans que l’on s’y attende, elle se leva calmement et demanda le silence. Ces hommes à l’air sévère interrompirent leur bavardage savant et pompeux et tournèrent leurs yeux surpris vers elle. “Oui, Régine…?” Ma grand-mère avait bien remarqué le ton condescendant de la question. Elle ne prononça qu’un mot avant de se rasseoir : “Prout”.