Du bidonville à la tour
Mon père est né à Tunis. Sa famille était venue du sud algérien pendant la guerre.
Ils ont décidé d’immigrer en France et ils ont débarqué à Marseille avant de rejoindre la région parisienne. Là, ils n’ont pas trouvé de logement et ont dû s’installer dans le bidonville de Nanterre. Ils ont vécu là cinq ans. Ensuite des barres d’immeubles ont été construites et la population des bidonvilles a été relogée. Mes grands-parents et leurs dix enfants ont emménagé dans un six-pièces dans le quartier du Chemin de l’île à Nanterre en bord de Seine. Mon père est allé à l’école des garçons Voltaire, puis au collège André Doucet et au lycée Joliot-Curie. Aujourd’hui, 60 ans plus tard, il habite toujours ce quartier.
Un jour, je me promenais au parc des Bords de Seine. Le département avait organisé là une exposition de photos sur les bidonvilles. Je suis tombée en arrêt devant une photo où on voyait une petite fille d’environ quatre ans au premier plan et j’ai pensé : « Tiens, cette tête me dit quelque chose. ». C’était ma tante et à l’arrière-plan, ma grand-mère !
Ça peut paraître surprenant, mais mon père a gardé un très bon souvenir des années passées là-bas. Il trouvait ça génial.
Quand ils sont arrivés dans leur tour de seize étages, la vie est devenue verticale. Beaucoup de gens se connaissaient.
Mon père, qui avait douze ans, n’avait encore jamais eu de télévision et quand son copain de l’immeuble à côté lui a proposé de venir la regarder, il est resté hypnotisé devant l’écran et a oublié l’heure. Il était parti de chez lui le matin et très tard le soir, il était toujours devant la télé. Quand il est enfin redescendu, il a constaté avec surprise qu’un déploiement de police avait été organisé dans le quartier et même qu’une équipe inspectait les bords de Seine, en attendant les plongeurs.
Quand ma famille l’a vu, ils ont été très soulagés, mais ils ont eu du mal à retenir mon grand-père qui lui aurait volontiers flanqué la correction de sa vie.