Le survivant

Ma grand-mère était née à Constantinople mais mon père, lui est né en Hongrie. C’est un rescapé de la Shoah. Il avait quinze ans quand il a été raflé en avril 1944. Il a été déporté à Auschwitz.

Mon père était grand et faisait plus vieux que son âge. Au moment du tri, quand les gardiens du camp décidaient qui devait partir à la chambre à gaz, il a menti sur son âge et a pu échapper à la mort par deux fois. La deuxième fois, il a juste fait un pas de côté pour se retrouver dans la file des hommes adultes et pas dans celle des vieillards et des enfants. C’est ce qui l’a sauvé.

Il a été envoyé dans une unité de travail en Silésie. Il a été libéré par la troisième division mongole de l’armée russe. Là aussi des horreurs ont été commises.

Avec ses copains du camp, ils ont réussi à sauver la vie de leur gardien allemand parce que c’était un vieil homme qui avait été très gentil avec eux. Il leur donnait des épluchures et tout ce qu’il trouvait pour leur permettre de survivre. Ils lui ont donné des vêtements civils et il a pu s’en sortir comme ça. Mon père ne sait pas ce qu’il est devenu par la suite.

Quand mon père est revenu « chez lui », il y avait un énorme trou à l’emplacement de sa maison. C’était une ferme familiale à côté de Budapest où il vivait avant-guerre avec ses parents, ses frères et sœurs, ses oncles et tantes et ses cousins.

Pendant trois mois, il a dormi dans ce trou toutes les nuits en espérant que des membres de sa famille reviendraient. Personne n’est jamais revenu.

Des cousins qui avaient réchappé au massacre ont tenté de le convaincre de partir avec eux en Israël. Ils s’apprêtaient à embarquer sur l’Exodus et s’engager avec la Haganah, un mouvement paramilitaire sioniste qui luttait contre les Anglais en Palestine pour créer l’état d’Israël. Il a refusé, car il n’avait pas envie de se battre et a préféré rejoindre l’Europe de l’Ouest libérée par les Américains.

Avec six amis, il a soudoyé des soldats russes avec de la vodka et des cigarettes afin qu’ils laissent passer leur camionnette. Ils ont ainsi pu atteindre une base américaine près de Munich.

Là-bas, les Américains lui ont demandé ce qu’il savait faire. Il leur a répondu qu’il avait été employé comme cuisinier dans le camp de travail. Il a été un peu dérouté car les Américains utilisaient beaucoup de produits lyophilisés en cuisine. Il a aussi découvert le corned-beef et le Coca-Cola.

Il a fini par arriver en France.

Quand j’étais ado, il me disait : « Toi, tu es du rab de ma vie. », je ne comprenais pas bien ce qu’il voulait dire. Maintenant je comprends mieux. Toute sa famille était morte, lui-seul avait survécu et pour lui, toutes les années après la guerre c’était comme un bonus.

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